La collection Zeitz

« Un Collectionneur, Une Œuvre » nous permet d’entrer dans l’intimité d’un choix artistique. Dans cette rubrique, Sayers Consultancy donne la parole à des collectionneurs passionnés qui nous présentent une œuvre de leur collection.

Jochen Zeitz s’est confié à Sayers Consultancy et nous parle de l’une des œuvres de sa collection qui lui tient particulièrement à cœur : « Ten thousand Waves », d’Isaac Julien.

Le choix de Jochen Zeitz : Dix mille vagues

 

Isaac Julien - Dix mille vagues
Isaac Julien, Dix mille vagues, installation video déployée sur neuf écrans © Collection Zeitz.

 

« Lorsque j’étais CEO de PUMA, nous avons soutenu la participation d’Isaac Julien à la biennale de Sydney, où il a présenté pour la première fois Ten Thousand Waves, une installation video déployée sur neuf écrans. Plus tard, nous l’avons à nouveau aidé à montrer cette œuvre au Bass Museum, dans le cadre de Art Basel Miami. Après l’avoir apprécié dans ces différents contextes, j’ai su qu’il fallait que cette œuvre entre au sein de ma collection.

Ten thousand waves nous met face à l’un des plus grands défis de notre époque : les mouvements de populations, volontaires ou subis. L’émigration reflète les rêves et aspirations des hommes à trouver ailleurs une vie meilleure, mais aussi la situation de grande vulnérabilité dans laquelle se retrouvent le plus souvent les migrants.

 

Isaac Julien - Ten Thousand Wave
Isaac Julien, Dix mille vagues © Collection Zeitz.

 

L’une des séquences de Ten thousand waves évoque le drame  d’un groupe de migrants chinois sur une plage de Grand Bretagne. Ils ramassent des coquillages sur la plage, avant d’être pris au piège de la marée montante qui les surprend à la nuit tombée. C’est une métaphore visuelle poignante, qui joue du contraste entre la beauté de la nature, sa puissance poétique et son pouvoir d’engloutissement et d’anéantissement.

Cette œuvre qui évoque l’émigration chinoise, une émigration qui s’est diffusée partout dans le monde, est aujourd’hui particulièrement pertinente, dans le contexte des nouvelles vagues d’émigration en Europe, qui constituent un défi affectant l’humanité toute entière.

Isaac Julien, qui est d’origine nigériane, dont les parents ont grandi dans les caraibes et qui aujourd’hui vit et travaille à Londres, nous parle aussi indirectement de son histoire à travers cette oeuvre.

A propos d’Isaac Julien

Isaac Julien est né à Londres, où il vit et travaille. Il a étudié la peinture et les films d’art à la St Martin’s School de Londres. Dès cette époque, il co-fonde le collectif Sankota Film and Video, au sein duquel il sera actif de 1983 à 1992. Il est également membre fondateur de Normal Films, en 1991.

Isaas Julien fait partie de la sélection du Turner Prize  2011 pour ses films The Long Road to Mazatlan (1999) et Vagabondia (2000). Parmi ses œuvres plus anciennes, on peut citer Frantz Fanon : Black Skin, White Mask (1996), Young Soul Rebels (1991) qui a obtenu le prix de la semaine de la critique au Festival de Cannes, ou encore le très poétique documentaire Looking for Langston (1989), qui a obtenu de nombreux prix internationaux.

Isaas Julien est conférencier invité à Harvard (1998-2002), chercheur au Goldsmiths College de l’Université de Londres (2000-2005), professeur au Whitney Museum (2006-2013) et Professeur à Staatliche Hoscschule fu Gestalting Karlsruhe en Allemagne (2008-2015). Il a reçu de nombreux prix internationaux, notamment le Performa Award (2008), le MIT Eugene McDermott Award in the Arts (2001) et le Frameline Lifetime Achievement Award (2002). Son œuvre Paradise Omeros a été présenté à la Documenta XI à Kassel en 2002. En 2003, il a obtenu le grand prix du Jury de la Kuntsfilm Biennale de Cologne et n 2008, le Special Teddy du festival de Berlin pour son film Derek.

De nombreux musées lui ont consacré des expositions individuelles, notamment le Centre Pompidou (2005), le MOCA North Miami (2005), le Kestnergesekkschaft à Hanovre (2006), le Museu do Chiado de Lisbonne, le Musée Brandhorst de Munich (2011) et plus récemment le SESC Pompeia au Brésil (2012). Son film Ten Thousand Waves a fait le tour du monde, présenté dans plus de 15 pays, dont au Moma de New York en 2013/2014. Les œuvres d’Isaac Julien font partie de nombreuses collections permanentes, publiques et privées, parmi lesquelles celle du MoMA, de La Tate Modern, du Centre Pompidou et du Guggenheim.

Jochen Zeitz et la Zeitz Collection

CSM PRESS DAY WITH PUMA 26/4/07 CHARING CROSS RD LONDON

Homme d’affaires allemand, Jochen Zeitz a commencé sa collection en 2002. Il s’est d’abord intéressé au Pop Art, aux manuscrits historiques américains et objets amérindiens.

En 2008, il rencontre Mark Coetzee. Ensemble, ils décident de développer une collection d’art africain contemporain en vue de fonder un musée. La collection Zeitz est aujourd’hui considérée comme la plus représentative collection d’art contemporain d’Afrique et de sa diaspora.

Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA) est une institution culturelle privée à but non lucratif, dont la finalité est de collectionner, préserver, documenter et exposer les artistes contemporains africains du continent et de la diaspora et de développer un programme éducatif à destination du grand public. Zeitz Mocaa constitue le premier musée d’une telle envergure sur le continent africain. Mark Coetzee en est le directeur executif et le curator en chef. En 2017, le musée s’installera dans un ancien silo à grains du V&A Waterfront, actuellement en cours de rénovation par le cabinet d’architecture Heatherwich Studio.

Pour plus d’informations :

www.zeitzfoundation.org

www.zeitzmocaa.museum

www.isaacjulien.com

www.thelongrun.com

www.segera.com

Chen Dabing, Une Love Affair chinoise en Afrique

Nous avons eu la chance de rencontrer Chen Dabing, homme d’affaires chinois installé en Afrique du Sud depuis 25 ans, serial entrepreneur et collectionneur passionné. Il nous parle de sa vie, de son amour pour l’Afrique, pour sa culture, son histoire et sa scène artistique. Il nous parle aussi de deux œuvres de sa collection : une sculpture de Beezy Bailey et un tableau d’Ayanda Mabulu.

 

Chen Dabing

 

Chen Dabing est un entrepreneur, fondateur du groupe Chenshia. Il est né et a grandi en Chine. Son coup de foudre pour l’Afrique remonte à 1988, lorsqu’il s’y rend pour la première fois. C’est le début d’une longue histoire d’amour avec l’Afrique du Sud et son continent, sa culture et ses habitants. Collectionneur passionné et mécène, Dabing a fondé le Musée Chenshia dans la ville de Wuhan. « Collectionner et présenter des œuvres d’art, pour les apprécier, les respecter, les préserver, les promouvoir, les partager et les faire rayonner », telle est la mission du Musée Chenshia.

Rencontre avec Chen Dabing.

1/ Vous êtes né en Chine. Pouvez-vous nous parler de l’environnement dans lequel vous avez grandi ?

Je suis né et j’ai grandi dans la région rurale de Xiangyang, dans le centre de la Chine. Tout au long de sa longue histoire, cette région a connu des guerres incessantes en raison de sa position très stratégique. J’ai grandi imprégné de toutes sortes de récits historiques transmis oralement par les anciens.

Je n’ai pas connu mon grand-père. Il fut kidnappé par le gouvernement nationaliste et enrôlé de force dans les rangs de l’armée afin de combattre les communistes. Nous avons appris qui avait contribué à son enlèvement. Lorsque nous ressentions de la jalousie envers les enfants qui avaient la chance d’avoir des grands-pères, mon cousin et moi nous vengions alors de cette vieille femme qui avait été l’auteur de ce crime, en lançant des pierres sur sa maison. Je n’ai cessé de rêver que mon grand-père avait survécu et qu’il reviendrait un jour, surtout quand les tensions avec Taiwan ont commencé à s’apaiser au début des années quatre-vingt.

En ces temps, nous étions tous très pauvres, avions des familles très nombreuses, et manquions de tout. Nous menions une vie très simple mais dans une nature idyllique ; nous respirions l’air le plus pur et buvions l’eau la plus pure dans les rivières; l’horizon était dégagé à perte de vue. Avec l’introduction des engrais chimiques, l’installation des poteaux électriques, les réformes et le développement accéléré de ces trente dernières années pour rattraper notre retard sur l’Occident, ma terre natale est devenue quasiment invivable. Le gouvernement prend aujourd’hui de nombreuses mesures afin de remédier à cette situation.

2/ Vous êtes un serial entrepreneur, actif dans une grande diversité de secteurs, et vous avez développez des activités en Afrique du Sud dès 1991. Votre compagnie, Chenshia, est, comme vous le dîtes, le résultat de votre « love affair » avec l’Afrique du Sud. Racontez-nous comment cette « love affair » a commencé ?

J’ai travaillé pendant 6 ans pour une entreprise publique chinoise, avant de démissionner en 1989 pour tenter l’aventure dans la Zone Economique Spéciale de Shenzhen. Fer de lance de l’ouverture économique, où toutes sortes d’initiatives étaient possibles, Shenzhen était alors très différent du reste de la Chine et l’on disait que l’on pouvait y faire fortune. Après deux années à Shenzhen, j’ai réussi à sortir de Chine, ce qui n’était pas facile à l’époque. Non seulement pour des raisons internes à la Chine, mais aussi parce que les politiques d’attribution des visas étaient à l’époque très restrictives pour les chinois. Je suis parti au Bangladesh, avant de débarquer aux Seychelles, qui était alors l’unique pays attribuant des visas aux chinois à leur arrivée. De là, je suis allé faire un tour au Kenya, où j’ai pu obtenir un visa pour l’Afrique du Sud, ce pays légendaire pour les diamants. « Le meilleur ami des femmes », comme on avait coutume de dire en Chine, une réalité très lointaine mais qui pouvait devenir très proche en cette période d’émergence de la société de consommation en Chine. C’est ainsi que j’ai créé Chenshia en Afrique du Sud, traduit par « diamant » en chinois. Quand la Chine a commencé à développer sa législation sur les marques, nous avons déposé les marques Chenshia et Diamond. Aujourd’hui, Chenshia poursuit le commerce de détail de diamants et de bijoux, en Afrique du Sud et en Chine. Bientôt nous proposerons nos pierres précieuses et bijoux aux HNWI via la plateforme en ligne de la banque chinoise ICBC.

3/ En quoi vous sentez vous profondément proche de l’Afrique du Sud ? Comment expliquez-vous ce lien si fort qui vous unit à ce pays ?

C’est en 1988 que j’ai mis pour la première fois le pied sur le sol africain, et je suis immédiatement tombé sous le charme des gens, de la culture, des arts et de l’histoire de ce continent. J’étais en mission pour l’entreprise d’état pour laquelle je travaillais ; j’avais été envoyé pour explorer des opportunités de business et de partenariats et avais voyagé durant un mois en Ethiopie, au Kenya et au Nigeria. A la fin de ce périple, je décidais de quitter le secteur public, de sortir de chine et de monter mes propres business. Tout cela grâce à l’Afrique. C’est l’Afrique qui m’a inspiré et qui m’a tendu les bras.

4/ Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’art ? Puis à collectionner ? Vous collectionnez à la fois l’art asiatique et africain, traditionnel et contemporain, mais par quoi avez-vous commencé ? Et comment votre collection a-t-elle évolué ?

Je crois avoir eu une sensibilité artistique dès mon plus jeune âge. Enfant, j’aimais dessiner, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’explorer plus avant mes talents d’artiste ! J’ai ensuite fait un peu de musique chinoise traditionnelle, de la flute et du erhu, pour passer le temps. J’ai arrêté en 1977, pour me consacrer à mes études, qui ont changé ma vie.

Mon premier geste de collectionneur a commencé lors de mon premier voyage en Afrique. J’étais fasciné par les sculptures en bois. Je les trouvais incroyablement vivantes. C’était comme si elles me parlaient et me souriaient. A cette époque je n’avais pas de moyens et je n’ai pu acheter qu’une minuscule statuette représentant une vielle femme africaine. Cette statuette est restée sur mon bureau très longtemps, jusqu’à ce que quelqu’un la dérobe en mon absence. Encore aujourd’hui cette statuette me manque terriblement. Quand je me suis installé en Afrique, j’ai continué à collectionner l’art africain ancien puis contemporain. Plus tard, à la fin des années quatre-vingt-dix, j’ai commencé à collectionner l’art tibétain. Ces œuvres religieuses élaborées avec des pigments minéraux naturels, si paisibles et si puissantes, me fascinaient et m’intimidaient tout à la fois. La qualité artistique et le savoir-faire artisanal de ces objets rituels manifestent un incroyable degré de spiritualité, par-delà toute valeur monétaire. A cette époque, j’ai aussi commencé à collectionner des aquarelles chinoises contemporaines et des gravures notamment des œuvres ayant pour thème le développement et les évolutions sociales avant et après la révolution culturelle. Ces dernières années, j’ai eu tendance à collectionner de très jeunes artistes, africains et chinois, afin de les aider et d’apporter mon soutien à la jeune création.

5/ Pourriez-vous nous parler d’une ou deux œuvres de votre collection qui vous tient particulièrement à cœur ?

Il y en a vraiment beaucoup ! J’évoquerai deux œuvres d’artistes de l’Afrique du Sud, très emblématiques et très différentes.

 

As It is In Heaven - Beezy Bailey
As It is In Heaven, Beezy Bailey.

 

« As It is In Heaven » est une œuvre de Beezy Bailey. Beezy raconte comment Mark Read, son galeriste, qui est aussi le Président de World Wild Life, l’a appelé un matin pour lui dire qu’il avait entre les mains le squelette d’un rhinocéros noir. A part les cornes, qui étaient fausses, tous les os étaient d’origine. Mark lui a demandé s’il pouvait faire quelque chose avec. Beezy a alors décidé de faire une œuvre qui alerte sur la situation dramatique des rhinocéros et les effets dévastateurs que leur extinction provoquerait. Il a réalisé une magnifique installation à partir de ce squelette – aile d’ange, corne en or massif, mise en place d’un dispositif lumineux et sonore magnifique. Face à cette œuvre, chargée d’une beauté tragique, le spectateur fait une expérience particulièrement forte, sur fond de chants d’Allegri – « Miserere Mei, Deus », musique de la transcendance, qui accompagne les esprits des morts.

 

Death Was the only way back to innoncence - Ayanda Mabulu
Death Was the only way back to innoncence, Ayanda Mabulu.

 

La seconde œuvre est une peinture de l’artiste Ayanda Mabulu, intitulée « Death Was the only way back to innoncence ». Cette œuvre très forte a été inspirée par la mort de sa mère, à laquelle il rend hommage. L’artiste et sa mère en sont les personnages centraux. A leurs pieds, git le cadavre du frère jumeau de l’artiste. Ils sont entourés d’éléments symboliques – un serpent qui représente la douleur et la maladie, une montre pour l’irréversibilité du temps, un chien gardien des ancêtres, des bandages sur le corps de l’artiste et celui de son frère mort pour les souffrances qu’ils ont tous deux partagés et un oiseau pour incarner l’âme de leur mère. Ce tableau est une représentation bouleversante des souffrances qu’ils ont traversées.

6/ En tant qu’amoureux de l’Afrique du Sud et des arts, vous soutenez les arts visuels africains. Pourriez-vous nous parler de certaines de vos actions dans ce domaine ? Et de votre implication auprès du Zeitz MOCAA ?

Nous identifions de jeunes artistes d’Afrique du Sud et du reste du continent, et nous les invitons en Chine à participer à des résidences d’artistes et des programmes d’échanges culturels. Nous exposons leurs œuvres, réalisées en Afrique ou bien dans le cadre des résidences de notre musée. Nous invitons les critiques d’art et médias chinois à venir les découvrir et à en parler. Les œuvres sont ensuite présentées par des galeries qui les promeuvent auprès de collectionneurs chinois. Il arrive parfois que certaines d’entre elles passent dans les enchères locales.

J’ai rencontré Mark Coetzee, aujourd’hui chief curator du Zeitz MOCAA, lors d’un diner qu’il a organisé à l’occasion de la première foire d’art au Cape. J’ai été très impressionnée par son professionnalisme et sa connaissance approfondie de l’art contemporain. C’est un grand privilège de le connaître et d’être associé, à travers lui, au Zeitz MOCAA, qui est un nouveau musée exceptionnel pour le continent africain. Il voit le jour plus de 150 ans après l’établissement du Musée égyptien du Caire.

7/ Comment avez-vous eu l’idée de créer le Fonds d’investissement Scheryn, dédié à l’art africain ? D’où vient ce nom de Scheryn ? Et pourquoi le bâtiment qui accueille provisoirement le Zeitz MOCAA s’appelle-t-il le Pavillon Scheryn ?

Je connais Herman Steyn, le partenaire avec lequel j’ai monté ce fonds, depuis 16 ans. C’était un voisin et nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire de nos enfants, qui fréquentaient la même école. Herman est à la tête de sociétés de services financiers, qui travaillent également en Chine. Je n’ai découvert que tardivement, en 2010, qu’il était aussi devenu un fervent collectionneur d’art. Un jour, nous nous sommes rendus ensemble en Chine, il a visité le siège de ma société et mon musée. Nous nous sommes mis à parler d’art, au lieu du projet de business que nous étions supposés faire ensemble. Nous avons célébré la fin de notre voyage chez Liqun, un restaurant de canard laqué très réputé, au fond d’une petite ruelle du vieux Pékin, où j’adore inviter mes amis et ma famille. Au cours du dîner, j’ai proposé à Herman que nous montions un fonds de collectionneurs spécialisé dans l’art contemporain africain du continent et de la diaspora. Herman a tout de suite été séduit par cette idée et a accepté de s’y atteler dès son retour en Afrique du Sud. Nous avons décidé de célébrer la naissance de ce projet dans ce même restaurant chaque fois que nous passerions ensemble à Pékin. La première célébration à Liqun s’est déroulée en 2015, lorsque je me suis rendu en Chine avec l’équipe de Zeitz MOCAA. Ce jour-là, Herman a proposé le nom de Scheryn, j’ai immédiatement regardé sur internet pour vérifier qu’il n’était pas pris. J’ai trouvé ce nom génial, et puis il se prononce presque comme « innovant» en mandarin. Nous avons décidé avec Herman d’apporter un soutien financier conséquent au Zeitz MOCAA dès ses débuts. En signe de reconnaissance, le musée a baptisé du nom de Scheryn le bâtiment qui l’héberge actuellement.

8/ Vous avez fondé en Chine le Musée Chenshia. Que trouve-t-on dans votre musée ? Comment choisissez-vous ce que vous y montrez ? Et quelle est votre ambition pour l’avenir ?

EN 2006, j’ai acheté une propriété sur les rives du Yangtsé, dans le centre de Wuhan. Je suis très attaché à cette ville, où j’ai vécu de 17 à 26 ans. J’y ai fait mes études et j’y ai passé les premières années de ma vie professionnelle. Après avoir acheté cette maison, j’ai décidé d’en faire un musée privé pour y exposer ma collection et créer une plateforme de partage, ouverte aux artistes, critiques et historiens d’art, aux amateurs et collectionneurs. Le musée a ouvert ses portes en 2010 et a toujours été gratuit pour tous. C’est devenu un lieu prestigieux de la ville de Wuhan et l’une des destinations préférées des visiteurs de passage. L’ancien Premier Ministre Français, Dominique de Villepin, s’y est rendu lorsqu’il est venu à Wuhan. Il a tout particulièrement apprécié la collection d’art africain et tibétain.

Dans les années à venir, j’aimerais développer des échanges entre le Musée Chenshia et d’autres musées, privés et publics, en Chine et à l’étranger. Au sein du musée, nous avons une équipe de professionnels, diplômés des instituts de beaux-arts. Nous sollicitons également, en fonction des projets, des commissaires indépendants. Nous présentons des artistes africains et asiatiques, mais aussi américains, anglais, français, géorgiens, etc. Les artistes que nous présentons viennent sur place et échangent avec la population locale, les visiteurs, les critiques d’art, les collectionneurs, ainsi que les médias qui relayent largement notre action.

9/ Vous êtes directeur et membre fondateur de l’Association des amitiés sino-africaines et du Forum des entrepreneurs sino-africains. Que pouvez-vous nous dire des relations culturelles et d’affaires entre la Chine et l’Afrique ?

Les relations sino-africaines remontent aux débuts de la dynastie Ming. Les explorateurs chinois ont débarqué en Afrique environ deux cent ans avant les européens. Ils ont très tôt effectués des relevés géographiques, qui figurent sur la grande carte du monde de la dynastie Ming (Da Ming Hun Yi Tu), de 1389. Cette carte est un grand panneau de soie de dix-sept mètres carrés. Les chinois apportèrent en cadeaux de la porcelaine et des outils agricoles, ainsi que des ouvrages scientifiques illustrés. Ils rapportèrent d’Afrique une girafe et quelques autres animaux pour la famille impériale. Les relations entre la Chine et l’Afrique furent ensuite très limitées, car l’un des empereurs Ming prôna le repli et mit brutalement fin aux explorations chinoises.

A la fin du dix-neuvième siècle, des chinois furent envoyés en Afrique du Sud pour travailler comme mains d’œuvre dans les mines d’or. Ils y furent exploités, mal traités et ils se virent refuser toute intégration et citoyenneté. Ils furent rapatriés en Chine au début du vingtième siècle. Dans les années soixante, les relations se réchauffèrent progressivement, lorsque les pays africains se libérèrent du joug colonial occidental et devinrent indépendants. La Chine, qui se relevait à peine de la guerre avec le Japon et des années de guerre civile qui ruinèrent le pays, apporta néanmoins une aide importante à l’Afrique. Lorsque je voyage en Afrique, je vois encore ces cliniques, hôpitaux, écoles, stades, routes, rails de chemin de fer et bâtiments gouvernementaux, construits à l’époque par les chinois. Il y eut également une action importante de collaboration et de transfert de compétences dans le domaine agricole et dans le secteur médical.

Les relations business entre la Chine et l’Afrique ne se sont vraiment développées qu’au début de ce siècle, avec le boum économique chinois exigeant de nombreuses ressources que l’Afrique peut offrir. La plupart des ressources étant déjà sous le contrôle des multinationales occidentales, la Chine a été contrainte de se fournir à prix fort auprès de ces compagnies, tout en investissant lourdement dans de nouvelles zones difficiles, encore inexploitées, nécessitant beaucoup de capitaux, ces zones que les occidentaux évitent le plus souvent. Dans l’ensemble, les investisseurs chinois souhaitent s’impliquer sur le long terme dans leur relation avec l’Afrique. La plupart des projets d’infrastructures financés par les compagnies chinoises sur le continent ont pour objectif de contribuer au développement de l’Afrique.

Culturellement, chinois et africains ont beaucoup en commun. Par exemple, la structure traditionnelle familiale, la gestion des relations au sein de la famille élargie, le respect des aînés, et les relations sociales au sein des communautés rurales. Je trouve facile et naturel l’interaction entre africains et chinois. Je ne suis pas surpris que les programmes d’échanges entre la Chine et l’Afrique augmentent fortement. Rien que dans la région de Canton, il y a aujourd’hui entre 800 000 et un million d’africains qui vivent et travaillent. Un million de chinois sont installés de façon permanente en Afrique, et les mariages mixtes se multiplient. Ces dernières années, un nombre extrêmement important de jeunes africains viennent en Chine faire des études supérieures ; de retour en Afrique ils intègrent les compagnies chinoises ou montent leurs propres sociétés de commerce avec la Chine. C’est une période particulièrement excitante, où l’on assiste, sur la scène mondiale, au renforcement des liens et de la confiance entre l’Afrique et la chine ainsi qu’au développement des relations interpersonnelles et des échanges culturels. Les aspirations de la « renaissance africaine » coïncident avec les aspirations du « rêve chinois ». Le FOCAC (Forum On China-Africa Cooperation) qui s’est tenu à Johannesburg en décembre dernier a ouvert un nouveau chapitre des relations sino-africaines et de nombreuses histoires formidables commencent à s’écrire.

10/ Comment souhaitez-vous voir évoluer les relations entre la Chine et l’Afrique du Sud ? Quel rôle pensez-vous pouvoir jouer ?

Je suis convaincu que les relations entre la Chine et l’Afrique du Sud vont continuer à jouer un rôle clef dans les relations sino-africaines. Ces deux pays sont très actifs au sein des BRICS et dans les organisations internationales en général. La Chine est aujourd’hui la deuxième puissance économique du monde ; elle va continuer à être un moteur pour sortir l’économie mondiale du ralentissement actuel. De son côté, l’Afrique du Sud est une locomotive pour l’ensemble du continent africain. Elle est aussi la porte d’entrée pour le développement du business chinois dans le sud de l’Afrique et en Afrique sub-saharienne. L’Afrique du Sud possède d’importantes ressources dont la Chine a besoin pour maintenir sa maintenir une croissance durable, et la Chine est un immense marché de débouchés non seulement pour les minerais d’Afrique du Sud mais aussi pour ses produits agricoles. Chenshia Green, consortium mené par une multinationale d’origine africaine, a récemment commencé à exporter des fruits d’Afrique du Sud vers Shanghai. Le moment est venu pour l’Afrique du Sud de réorganiser, rénover ou remplacer ses infrastructures et son tissu industriel, mais elle est entravée par sa situation financière. La Chine est très bien positionnée pour lui apporter des solutions à la fois financières et techniques. En tant qu’entrepreneur, mon rôle est d’identifier les opportunités qui existent et de tirer profit de mon expérience personnelle, de mon expertise et de mon réseau pour le bénéfice des deux pays.

11/ Nombreux sont ceux qui comparent l’intérêt grandissant pour l’art contemporain africain à celui qui a émergé il y a une dizaine d’années pour l’art contemporain chinois. Trouvez-vous cette comparaison pertinente ?

Je partage entièrement ce point de vue et je suis fermement convaincu que c’est aujourd’hui le tour de l’Afrique sur tous les fronts ! Les africains sont naturellement musiciens, naturellement artistes, ils sont si créatifs, qu’ils inspirent tous ceux qui vont à la rencontre de leur culture, comme le fut par exemple Picasso en occident et Luo Zhongli en Asie. C’est cette conviction qui nous a poussés à créer Scheryn. Aujourd’hui nous finalisons les détails pour promouvoir notre fonds auprès des investisseurs chinois qui montrent un intérêt croissant pour l’art contemporain africain.

12/ Vous êtes un collectionneur passionné d’art africain traditionnel. Existe-t’-il en Chine un intérêt dans ce domaine ? Et avez-vous engagé des actions pour le promouvoir ? Vous collectionnez également l’art africain contemporain. Les chinois s’y intéressent-ils ?

L’intérêt pour l’art africain traditionnel a toujours existé, et il se renforce aujourd’hui avec le nombre croissant de chinois en Afrique. Lorsque nous avons fait venir des œuvres d’art africain traditionnel en Chine, c’était d’abord uniquement pour notre image de marque, mais des clients ont insisté pour en acheter.

Encore peu de collectionneurs chinois comprennent l’importance de l’art africain contemporain, mais certains chinois qui travaillent ou se rendent souvent en Afrique commencent à acheter des œuvres dans les galeries locales. Des diplomates chinois ont également fait l’acquisition de belles pièces lorsqu’ils étaient en poste en Afrique. Une fois que les collectionneurs chinois auront eu l’occasion de voir de l’art africain contemporain, d’être initié et guidé, il n’y a pas de raison pour que l’art africain contemporain ne se diffuse pas auprès des collectionneurs et des investisseurs chinois. Mon organisation a pour vocation de promouvoir cet art en Chine dans la durée.

13/ Etes-vous impliqué dans des œuvres caritatives en Afrique du Sud ?

J’ai été élu vice-président de la Fondation Soong Ching Ling en Afrique du Sud. C’est l’unique branche de cette fondation sur le continent africain. Depuis son établissement en 2009, la fondation a mobilisé la communauté chinoise locale pour récolter des dons afin de venir en aide aux orphelins. En juin 2015, l’orphelinat China House, financé par la Fondation, a ouvert ses portes. Nous avons l’intention de développer ce type d’actions sociales dans d’autres pays d’Afrique.

14/ Vous avez accompli tant de choses dans des domaines si variés. La devise de Chenshia, le groupe dont vous êtes le fondateur, est « saisir le moment, poursuivre ses rêves, inspirer les autres et partager l’avenir ». Que rêvez-vous encore de réaliser ?

D’un point de vue professionnel, je regarde l’Afrique comme un immense pays et que l’on peut comparer à la Chine en bien des façons. La Chine a 34 provinces et 1,3 milliards d’habitant, quand le continent africain est composé de 54 pays et compte un milliard d’habitants. Les opportunités et les défis sont innombrables pour améliorer la vie et enrichir des populations aussi nombreuses. Je rêve de développer une compagnie d’assurance proposant une grande variété de produits et de services, qui permettrait de couvrir tous les africains de la naissance à la mort. Je rêve de fonder une chaîne d’hôpitaux en Afrique où les jeunes diplômés chinois en médecine viendraient tous y travailler un a deux ans, en tant que volontaire ou bien dans le cadre de leur internat, pour aider les africains qui ont besoin de l’accès aux soins à un prix abordable. J’ai encore de nombreux rêves africains, je les développerai progressivement.

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